Jésus dit encore une parabole pour montrer à ses disciples qu'il faut toujours prier sans se décourager : « Il y avait dans une ville un juge qui ne respectait pas Dieu et se moquait des hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : 'Rends-moi justice contre mon adversaire.' Longtemps il refusa ; puis il se dit : 'Je ne respecte pas Dieu, et je me moque des hommes, mais cette femme commence à m'ennuyer : je vais lui rendre justice pour qu'elle ne vienne plus sans cesse me casser la tête.' ». Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice ! Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Est-ce qu'il les fait attendre ? Je vous le déclare : sans tarder, il leur fera justice. Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » Lc 18, 1-8
Il y a quelques semaines, la liturgie dominicale nous a
invités à méditer sur la prière de demande à partir d’une parabole communément
appelée « la parabole de la veuve et du juge inique ». Un récit déstabilisant à
double titre. La demande de Jésus – « Il faut toujours prier sans se décourager
» est maintes fois répétée dans l’évangile – nous connaissons par coeur ces
autres paroles : « Cherchez et vous trouverez, demandez et vous recevrez,
frappez et la porte sera ouverte… ». On peut aussi penser à la prière du Notre
Père, prière de demande par excellence.
Pourtant, qui de nous, confronté à une épreuve ou un
évènement douloureux, ne s’est jamais interrogé sur l’efficacité de la prière
de demande ? Comment comprendre parfois que notre persévérance dans la prière
semble si peu efficace ? Je pense au cri de douleur rapporté récemment, de ce
père de famille, effondré, alors que sa fille de 14 ans venait de mourir au
terme d’une semaine de coma. Interpellant son beau-frère, il lui a posé cette
question : « Elles sont passées où, toutes tes prières ? ». Est-ce si utile de «
prier sans se décourager » ?
Notre évangile est déstabilisant également parce que la
parabole que Jésus raconte pour fonder la nécessité de demander dans la prière
donne ce sentiment que Dieu cède à nos prières par souci de notre bien pour
être tranquille – un juge donne raison à une pauvre veuve qui le supplie de
rendre justice non par souci du bien et de la vérité, mais « pour qu’elle ne
vienne plus me casser la tête ».
Il faut nous souvenir ici que le rôle d’une parabole n’est
pas de tout dire – ici, de tout dire sur la prière de demande. Mais simplement
de faire passer une idée maîtresse. Ce qu’il nous faut retenir, c’est
l’importance, voire la nécessité vitale, pour notre coeur d’homme – de la
prière de demande. La parabole de la veuve ne doit pas nous focaliser sur le comportement
du juge – Jésus n’est en train de nous dresser un portrait de Dieu – mais elle
doit nous aider à comprendre ce que Jésus nous dit au début du récit : « Il
faut toujours prier sans se décourager ». Accueillir la parabole, c’est donc
contempler le comportement de la veuve, la persévérance de sa demande et
l’appel à avoir nous-mêmes la même attitude.
Si Jésus insiste sur la prière de demande, c’est parce que celle-ci fait partie de notre être profond en tant que nous sommes des êtres de désir.
Nous sommes davantage « homme » quand nous pouvons exprimer ces désirs.
Ne pas exercer cette possibilité, ce serait atrophier une de nos facultés. De
même que nous trouverions ridicule de ne pas utiliser nos mains ou nos jambes –
alors qu’ils nous ont été donnés pour que nous nous en servions – de même, il
serait ridicule de ne pas utiliser la prière de demande alors qu’elle fait
partie de nous, pleinement, pour nous unir à Celui qui nous a créés.
Dieu, de son côté, n’a pas besoin de nos prières de demande.
Il connaît l’état de notre cœur. Il sait quels sont nos besoins. Si le plus
souvent, il ne répond pas à directement à ces besoins, c’est parce que la
liberté de l’homme est en jeu – et le Seigneur ne veut pas mettre la main sur
notre liberté. L’amour ne force jamais les choses – sinon, cela devient un viol.
Parfois, alors que l’homme ne semble pour rien dans une situation de détresse, Dieu
semble demeurer silencieux. Le silence – en apparence – de Dieu ne peut être
perçu que dans un acte de foi, autrement dit, sans mettre notre vie en
perspective avec la vie éternelle vers laquelle nous marchons. C’est l’image parfois
utilisée de la tapisserie, dont ce monde serait simplement l’envers… : des fils
semblent mal agencés… Il y a des nœuds inesthétiques… il nous faut être patient
pour voir la beauté de l’œuvre, de l’autre côté.
Alors si le Seigneur nous demande de « prier sans cesse,
sans nous décourager » - tant d’autres passages de l’écriture insistent – c’est
sans doute pour une autre raison. Elle ne peut pas avoir pour objectif «
d’obliger Dieu » à satisfaire à nos besoins. Il s’agit plutôt de demeurer dans
le « souvenir de Dieu », selon la belle expression des pères de l’église. Se
rappeler que Dieu est constamment à l’oeuvre dans notre existence et dans
l’histoire. Avec le maintien de ce souvenir dans notre mémoire, peu à peu,
imperceptiblement, nous nous familiarisons avec Lui jusqu’à être capables de
discerner comment vivre conformément à Sa volonté. Nous sommes façonnés par ce
qu’Il est Lui-même. Sous sa bonne influence. Dieu veut le bien de tout homme,
nous ne pouvons en douter.La seule chose qu’Il nous demande, c’est d’accepter
Son désir de nous trouver en communion avec Lui. Tel est le cri qui jaillit du
coeur de Saint Augustin après sa conversion et qui continue de traverser les
siècles : « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos,
tant qu’il ne demeure en toi ».
C’est pour cela que la prière du Notre Père est la plus belle
des prières de demande. Avec en son coeur, cette demande la plus essentielle,
parce qu’elle révèle Jésus, le Christ, l’homme Dieu : « Que Ta volonté soit
faite sur la terre comme au ciel » - associée au pain, lieu de la communion
avec Lui. Jésus veut être dans cette
volonté jusque dans sa passion, au jardin de Gethsémani.
Peut-être que tout cela, nous le comprenons bien,
intellectuellement… mais nous nous sentons bien pauvres, hésitants, pour
formuler ces prières. Il faut alors nous souvenir que notre prière rejoint
toujours l’immense flot de prière de toute l’Eglise. Lorsque notre prière
faiblit, nous avons le soutien de la prière de nos frères – vous utilisez peut-être
parfois ce terme au bas de vos lettres : « union de prières ». Quelle belle expression
! Les saints, dans la communion du ciel et de la terre, nous aident à porter nos
fardeaux lorsque notre prière défaille.
À quelques jours de Noël, en vivant ce mystère dans
l’Espérance que Dieu nous a déjà donné ce que nous demandons, nous exprimons
notre foi en cette communion qui associe le ciel et la terre. Dans la prière de
demande, nous ne sommes jamais seuls, mais membres d’un corps, en marche vers
la Jérusalem céleste.Noël est un temps de grâce. N’ayons pas peur de demander.
Padre Sébastien
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